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ReportageÉnergie

Une visite au Salon où le nucléaire rêve d’un avenir plein de neutrons

Le « World Nuclear Exhibition » (WNE) salon d’affaires international dédié à la promotion du nucléaire, s’achève. Reporterre est allé rencontrer les professionnels de l’énergie atomique.


-  Le Bourget, reportage

Le jour-même où, mardi 14 octobre, les députés français adoptaient le projet de loi sur la transition énergétique censé réduire de 75 à 50% la part du nucléaire dans le mix énergétique français à l’horizon 2025, s’ouvrait, à quelques kilomètres de l’Assemblée nationale, le World Nuclear Exhibition 2014 (WNE), qui réunit les industriels et les prestataires de la filière nucléaire. « Un salon orienté business avec un visitorat [sic] professionnel, international et hautement qualifié » comme l’avait présenté l’une des organisatrices lors de la conférence de présentation en juin dernier.

Une grande première. Et une réussite, déjà, bien que le volume de contrats actés ou même le nombre de visiteurs ne soient pas connus : « Je n’ai vu que des sourires parmi les 495 exposants » nous confie Gérard Kottman, président du WNE et de l’AIFEN (Association des industriels français exportateurs du nucléaire). Il se félicite de l’écho international de l’événement : « Avec 24 pays qui exposent et 32 qui visitent, on capitalise sur la bonne image du nucléaire qui rend la France attractive ».

Le Salon opère pourtant en catimini. Les médias dominants ont assez peu relayé l’événement, alors que la journée d’hier aura été marquée par l’annonce du remplacement d’Henri Proglio à la tête d’EDF par Jean-Bernard Lévy. Même le passage du Premier Ministre Manuel Valls, dans l’après-midi, semble avoir assez peu soulevé l’intérêt, malgré un discours nucléariste édifiant.

Tandis que le Mondial de l’Automobile se tient encore pour quelques jours à la Porte de Versailles, l’autre grande filière de l’industrie nationale – le « génie industriel français » selon Manuel Valls – s’est donné rendez-vous de l’autre côté de Paris, bien après le périphérique, au Parc des Expositions du Bourget, là même où se tiendra dans un peu plus d’un an… la COP 21.

Un bus vous y dépose directement depuis le nord de la capitale. Problème, on arrive par la mauvaise porte. Pas de badge ? Pas d’entrée. Pour s’accréditer, c’est la porte L.1, nous dit-on. C’est-à-dire, à l’opposé. Il faut près d’un quart d’heure à pied pour contourner les grilles et les nombreux camions de police alignés le long des hangars.

« C’est forcément un salon un peu touchy » sourit l’autre randonneur de fortune, avec qui l’on fait marche commune. Un travailleur du nucléaire ? « Oui, en sous-traitance ». Plus précisément ? « Dans la production de logiciel informatique ». Nous n’en saurons pas plus, premier gage d’une méfiance qui caractérise les échanges du « milieu » avec les journalistes.

Pourtant l’échange dérive sur l’actualité et sur la loi de transition énergétique, sur laquelle l’interlocuteur reconnaît qu’il y a « beaucoup de choses à dire » : « Il faut arrêter de jouer sur l’offre, et se concentrer sur la demande ». A-t-on bien compris ? « Oui, il faut aller vers une baisse de la demande. On peut travailler sur l’efficacité énergétique, mais aussi sur le signal-prix, trop faible aujourd’hui ».

On lui fait remarquer que les dernières études vont dans le sens d’un renchérissement du prix de l’électricité, notamment en raison du coût du programme de grand carénage… « Parlons-en du grand carénage : 40 ans, pourquoi pas, si cela doit donner du temps aux nouvelles technologies. Mais au-delà, c’est de la folie, tant sur les aspects économiques que de sûreté. Sans compter les déchets, ah ça, il y a un vrai sujet sur le stockage des déchets, j’aime mieux vous le dire… »

On s’étrangle presque de cette première rencontre fortuite. Y a-t-il donc un courant de remise en cause de la suprématie du nucléaire au sein même du secteur ? « A l’intérieur, personne ne vous le dira » répond-il. Et pour cause : à la nouvelle entrée, l’homme se fait de nouveau refouler. Sans invitation, c’est 150 euros. A côté, un autre détaille tout le CV de sa carrière dans le nucléaire, en vain. Il ne suffit pas de dérouler son pedigree, l’entrée est « select ». Et c’est donc de nouveau seul que l’on pénètre la navette qui nous dépose dans le hall d’accueil où nous attend un nouveau sas de sécurité.

L’espace est grand et brille de mille feux. Une caverne d’Ali-baba à la mode 2014. D’un stand à l’autre, c’est la compétition au goodies le plus improbable : ceux qui n’offrent que stylo ou agenda paraissent en peine face à ceux qui distribuent leur dernière clé usb high-tech, les porte-clés lumineux ou carrément des bouchons pour reboucher le champagne et garder les bulles.

Celles-ci sont vite consommées à l’heure du déjeuner où de nombreux stands proposent petits fours pour accompagner les rencontres. Partout en libre-service, des dragées en chocolat bien connues ont été re-designées pour l’occasion au motif « WNE 2014 Thank you » :

Au PNB, le Pôle Nucléaire de Bourgogne, un sommelier propose une dégustation de Marsannay et de Chassagne-Montrachet. On apprend que la région est un important bassin d’emploi, historiquement lié à la chaudronnerie et à la forge. On déambule parmi les allées. Question parité, on repassera. Quant à la moyenne d’âge, elle donne un autre sens à l’idée de « filière d’avenir » : on se croirait dans une croisière organisée pour les retraités.

Parmi les exposants, les poids lourds du nucléaire sont bien visibles. EDF, AREVA, CEA, ALSTOM, etc., bénéficient des stands centraux, organisés autour de grandes plateformes circulaires où, du panneau d’affichage jusqu’à l’écran géant diffusant les simulations visibles à l’aide de lunettes dernière génération, rien n’a été oublié.

Mais lorsqu’on s’excentre, on découvre toute la gamme des corps de métiers du nucléaire. « Le nucléaire ne se réduit pas à la production, il y aussi la sûreté, le traitement, le maintien, le démantèlement… » nous explique-t-on plusieurs fois.

On apprend l’existence de SRA SAVAC, une filiale de Suez Environnement, qui s’occupe des lançages de générateur de vapeur. Comprendre : la structure s’organise des nettoyages haute-pression en intervenant dans les réacteurs lors d’arrêt de tranche pour enlever la magnétite, un dépôt qui se forme quand l’eau bouillante entre en contact avec le métal.

Il y a QUIRI, une entreprise qui conçoit, réalise et vend des bouts de machine très particuliers, les « DAB » (dispositifs auto-bloquant), qui fonctionnent comme une « ceinture de sécurité » dans les échangeurs de chaleur en cas de tremblement de terre, par exemple.

L’ancien rugbyman fait dans l’usinage

Il y a Nucléopolis, un « cluster » - sorte de pôle de compétitivité pour les structures du nucléaire – qui s’intéresse notamment à la vocation médicale du nucléaire. C’est un argument qui revient régulièrement pour parer les anti-nucléaires, qui « enterrent cette utilisation en même temps que l’énergie nucléaire » reproche Richard Zimmerman, spécialiste de la question. « Le nucléaire guérit les problèmes du nucléaire, comme sur les cancers de la thyroide notamment. La lutte contre le cancer est directement liée à l’existence du nucléaire, à la fois pour la détection par l’imagerie et pour le traitement, par la radiothérapie par exemple ».

On trouve même des acteurs plus inattendus, à l’image de Maestria, un fabriquant de peinture basé en Ariège, qui vend une peinture référencée selon les normes aux applicateurs qui l’utiliseront ensuite sur les sols, les bâtiments et autres structures métalliques. Ou encore… Lionel Nallet, ancien capitaine de l’équipe de France de rugby. Encore joueur professionnel au club de Lyon, il a monté une structure, il y a six ans, afin de préparer sa reconversion. Diplômé d’un BTS de productique, sa boîte, USIREA, s’est spécialisée dans la mécanique de précision et l’usinage type tournage-fraisage.

« Il ne s’agit pas d’être d’accord ou pas d’accord avec le nucléaire, mais de savoir utiliser ces compétences et ce savoir-faire français, car c’est une filière d’excellence » explique Alexandre Ossola, en charge du fonds d’investissement à la Banque Publique d’Investissement (BPI), qui dispose de 133 millions d’euros sur les dix prochaines années pour financer les PME du secteur.

L’argument de l’emploi est mis en avant : les chiffres varient, mais on tournerait autour de 200.000 emplois directs, plus presque 200.000 autres en emplois indirects et induits. Mais surtout, on table sur 110.000 emplois à venir, « selon des études valables, et non des extrapolations que d’autres utilisent trop souvent… » glisse Gérard Kottman.

“Les subventions montrent qu’il y a de l’avenir"

Ce « tissu » de PME représente aussi la fierté « Made In France » du nucléaire. « C’est ce qu’il convient d’entretenir : quelle que soit l’orientation de la politique énergétique de la France, les PME auront leur utilité » insiste Alexandre Ossola. D’ailleurs, nombreuses sont celles qui ne dépendent pas uniquement du nucléaire, travaillant aussi dans d’autres filières. Un premier pas vers la transition ? « Si on passait du nucléaire à l’éolien, honnêtement, je ne ferai pas moins de chiffres d’affaires », dit Maxime Suss, chef des ventes chez Quiri.

La loi de transition énergétique n’inquiète en tout cas pas officiellement la filière. Gérard Kottman se veut particulièrement rassurant : « Le nucléaire s’inscrit dans le long-terme. Il y a deux grands marchés qui s’ouvrent à nous aujourd’hui, celui du grand carénage à l’intérieur de notre pays, et celui de l’export avec l’arrivée de grands pays comme la Chine, l’Inde mais aussi l’Afrique de Sud ou l’Angleterre. La validation par Bruxelles des subventions à Hinkley Point pour la construction des deux EPR, la semaine dernière, montre qu’il y a de l’avenir. Nous avons besoin de toutes les énergies, mais en France, le nucléaire n’a rien à se reprocher et participe de notre attraction ».

De l’homophobie à la nucleophobie

Pour beaucoup, l’énergie nucléaire reste la seule voie à suivre. Les arguments sont rabâchés : c’est la moins coûteuse, la plus productive, c’est une énergie décarbonée, etc. « Et dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, c’est aussi l’énergie qui prend la moins de place car les éoliennes ont une emprise sur le sol beaucoup plus importante », nous dit-on.

Franck Micossi, commercial dans la société de peinture Maestria, résume la situation : « C’est une énergie incontournable pour le confort qu’on veut ». Et quand on ose évoquer la dangerosité, c’est son collègue qui désamorce par la dérision des caricatures – « non, mon troisième bras qui pousse dans le dos ne me fait pas mal » - avant de se lancer dans une comparaison… surprenante : « Il y a une incompréhension entre le commun des mortels qui ne connaît pas le nucléaire et ceux qui travaillent dedans. C’est la peur qui fait ça. Quand vous demandez aux gens à quoi leur fait penser le nucléaire, ils vous répondent quoi ? Tchernobyl. C’est la même peur que pour l’homophobie : ils ne connaissent pas, alors ils ont peur  ».

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