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Reportage

Ukraine : le désarroi des réservistes russes

Les convocations ont déjà été envoyées à 300.000 réservistes. Mais l'oukase du chef du Kremlin a aussi provoqué panique et colère de jeunes hommes qui, dans l'urgence, cherchent à échapper à la conscription, voire à quitter le pays. Reportage.

A Saint-Pétersbourg, un panneau publicitaire appelle à rejoindre l'armée russe, « un vrai travail ».
A Saint-Pétersbourg, un panneau publicitaire appelle à rejoindre l'armée russe, « un vrai travail ». (Olga Maltseva/AFP)

Par Benjamin Quénelle

Publié le 22 sept. 2022 à 18:00Mis à jour le 22 sept. 2022 à 18:21

La mobilisation n'a pas traîné. Mercredi, Kirill, Glev et Anton ont reçu la convocation quelques heures seulement après le tonitruant discours télévisé de Vladimir Poutine . Le chef du Kremlin venait d'annoncer « la mobilisation partielle » en vue de la poursuite de « l'opération militaire spéciale » en Ukraine, selon les litotes officielles.

« Deux policiers sont venus chez moi pour me donner en main propre l'assignation », raconte Glev, 26 ans. « Je ne veux pas aller à la guerre. Au bureau d'enrôlement, je le leur ai dit. Ils m'ont regardé. Ils m'ont donné deux possibilités : soit départ immédiat pour un centre d'entraînement avant l'envoi au front, soit refus et poursuites judiciaires pour désertion. Entre la guerre et la prison, j'ai fait mon choix », confie le jeune homme, rencontré jeudi devant l'un des centres d'enrôlement à Moscou.

Quelques minutes plus tard, baluchon sur le dos et après le dernier baiser à sa fiancée en larmes, un bus a conduit Glev vers une caserne de la grande banlieue de Moscou. Avec lui, une douzaine d'autres hommes, âgés de 25 à 35 ans. « Personne ne veut y aller. Mais quand la patrie vous appelle, il faut ! », lance, plus enthousiaste, Kirill, 27 ans. D'autres ont oeuvré habilement pour échapper à la mobilisation.

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« J'ai le papier médical qu'il faut… », confie Anton, 25 ans, dans un sourire complice. Le certificat a signifié la levée de ses obligations militaires. Cela tombe bien : Anton confie être « catégoriquement contre la guerre en Ukraine ». Par le passé, le jeune homme a régulièrement participé aux manifestations anti-Kremlin.

1.400 arrestations

Se sachant mobilisable, Anton a pris la précaution de ne pas participer la veille au soir au rassemblement de quelques centaines de manifestants qui, au coeur de Moscou, ont bravé interdits et cordons policiers pour dénoncer la mobilisation militaire.

« Non à la guerre, honte ! », ont-ils crié, certains même lorsque trois policiers les plaquaient au sol et les traînaient vers les fourgons. Interdite, l'action s'est soldée par plus de 500 arrestations - et près de 1.400 à travers la Russie, de pareils rassemblements non autorisés ayant été improvisés dans 38 villes. Dans la foule, beaucoup de jeunes hommes.

Une quinzaine d'hommes sur le départ pour l'Ukraine, devant un centre de mobilisation à Moscou.

Une quinzaine d'hommes sur le départ pour l'Ukraine, devant un centre de mobilisation à Moscou.Benjamin Quenelle

Pour certains, c'est désormais la double peine : poursuites judiciaires pour manifestation illégale et… assignation à comparaître au bureau d'enrôlement militaire. Une forme de mesure punitive contre les manifestants afin de doper les troupes ainsi mobilisées de force. Sur les réseaux sociaux, la peur de la conscription est palpable.

De divers coins de Russie, certains racontent qu'un fils a été tiré du lit en pleine nuit pour obéir aux ordres de mobilisation. D'autres affirment préférer se casser un bras plutôt que de partir au front. Ceux qui ont feint de ne pas recevoir la convocation à la maison en ont reçu une seconde à leur travail. Et, partout, des images de bus remplis d'hommes enrôlés.

Reportage devant un centre de mobilisation à Moscou

Le journal indépendant « Novaya Gazeta Europe » a révélé qu'une clause non divulguée du décret présidentiel sur la mobilisation prévoit l'enrôlement d'un million de réservistes. Une information démentie par le Kremlin. Dmitrï, lui, a pris les devants. Ce garçon de 25 ans a préféré quitter Moscou dans la nuit de mardi à mercredi, avant même le discours de Vladimir Poutine. En avion direction Erevan. « Son travail, sa famille, tout est ici. Mais la vie est plus précieuse. Il a eu raison de partir », confie son père.

Dans les aéroports, les places se font rares. Et les prix s'enflamment. Sur le site de Turkish Airlines, l'une des rares compagnies à encore opérer depuis Moscou, le premier vol disponible est pour mardi prochain, à plus de 2.600 euros… Pour échapper à la mobilisation, beaucoup continuent de chercher des billets d'avion. Un vol aller sans retour.

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Benjamin Quénelle (Correspondant à Moscou)

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