La turbine Arabelle, monstre rutilant de 300 tonnes, est éclairée, telle une pièce de collection, par des spots lumineux. Elle sert d’arrière-plan au discours d’Emmanuel Macron, dont la voix résonne comme dans une cathédrale sous l’immense toit en tôle de l’usine General Electric (GE) de Belfort. Des affiches « France 2030, c’est ici que ça se passe ! » encadrent le chef de l’Etat. Son conseiller image, Arnaud Jolens, bonnet blanc sur la tête, surveille les détails de la scénographie, qu’il a lui-même imaginée. Le locataire de l’Elysée n’est pas ici en campagne pour l’élection présidentielle des 10 et 24 avril. Pas officiellement, du moins. En ce jeudi 10 février, il est venu annoncer la « renaissance » du nucléaire français, vanter la « souveraineté » nationale et louer les mérites de la « planification ».
En clair, afficher l’ambition de « reprendre le contrôle de notre destin énergétique », dans un emprunt sémantique au slogan des partisans du Brexit. Le tout devant l’ancien maire de la ville, Jean-Pierre Chevènement, héraut du souverainisme de gauche, ravi. Et qu’importent les tête-à-queue.
A deux mois du scrutin présidentiel, Emmanuel Macron est venu tourner la page d’engagements passés et d’épisodes malheureux. En particulier celui de la vente, en 2015, de la branche énergie du français Alstom à l’américain General Electric, qu’il supervisa en tant que secrétaire général adjoint de l’Elysée, d’abord, puis comme ministre de l’économie. Selon le maire actuel (Les Républicains, LR) de Belfort, Damien Meslot, 1 300 emplois ont été perdus depuis sur le site, qui produit les turbines des centrales nucléaires.
Dès son arrivée, le chef de l’Etat rencontre des salariés pour purger l’affaire. Un « carnage », lâche l’un d’entre eux. « A l’époque, j’étais collaborateur quand ça s’est fait », minimise Emmanuel Macron, qui évoque « le choix d’une entreprise privée ». « C’était pas l’Etat qui était à la tête d’Alstom, ajoute-t-il, arguant que son prédécesseur [à Bercy] et les ministres de l’époque l’ont su très tard .» Le mal a été réparé puisque EDF a annoncé, jeudi matin, avoir trouvé un accord pour racheter une partie de GE Steam Power, qui produit les turbines Arabelle. « On vous fait quelquefois un procès un peu injuste », défend Jean-Pierre Chevènement, qui remercie au contraire Emmanuel Macron, dans un jeu de rôle bien rodé, d’avoir « mouillé sa chemise pour la récupération d’Arabelle ».
A son tour, Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, prend le micro et distribue les félicitations. Depuis l’accident de Fukushima, au Japon, en 2011, « ç’a été l’hiver du nucléaire ». « Là, les premiers printemps reviennent », se réjouit-il. Surtout depuis qu’Emmanuel Macron a promis, en novembre 2021, de relancer la construction de réacteurs en France. Toute la filière s’impatiente et espère enfin obtenir du concret. Mais le chef de l’Etat veut d’abord faire un détour avant de préciser son plan.
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