Tribune. Le rapport de Jean-Martin Folz sur la construction de l’EPR de Flamanville, remis le 28 octobre, est sans appel pour la filière électronucléaire française. La catastrophe financière n’en finit plus de s’aggraver. Le projet accuse à ce jour dix ans de retard et 9 milliards d’euros de dépassement budgétaire. Il a contribué à engloutir Areva, fleuron de l’industrie nucléaire française, déclaré en faillite en 2016, qui n’a dû son salut qu’à un renflouement sur fonds publics de 4,5 milliards d’euros. Il pèse maintenant sur les comptes d’EDF, nouveau maître d’œuvre depuis le naufrage d’Areva, qui n’espère plus pouvoir raccorder le réacteur au réseau avant 2022.
Flamanville souffre bien entendu d’être le premier réacteur de 3e génération construit en France – ce qui ne peut s’accomplir sans dépassement de coût. Mais il vient aussi rappeler les problèmes structurels de la filière. Les chantiers des centrales contemporaines, comportant plusieurs réacteurs de très forte puissance (1 600 MW dans le cas de l’EPR), sont pharaoniques. Le durcissement des règles de sécurité, notamment depuis l’accident de Fukushima, en 2011, a conduit à dupliquer la plupart des dispositifs essentiels au fonctionnement du réacteur et à doubler l’enceinte de confinement. Ce renforcement salutaire de la résilience du réacteur a provoqué une augmentation massive de sa complexité, et donc des coûts.
« Pour en maîtriser les coûts, les réacteurs nucléaires doivent être construits en série »
Plus profondément, l’exemple de Flamanville – et son miroir finlandais, tout aussi désastreux, à Olkiluoto – rappelle que, pour en maîtriser les coûts, les réacteurs nucléaires doivent être construits en série. C’est l’un des facteurs majeurs du succès du programme électronucléaire français des années 1970-1980, que l’on retrouve dans le programme nucléaire chinois contemporain. Certes, la China General Nuclear Power Corporation n’a construit que deux EPR, qu’elle a mis en service en 2018 et 2019 – les seuls au monde à ce jour. Mais neuf réacteurs ont été activés en Chine sur la même période, et six autres sont en construction. La construction des deux EPR de Taishan ne doit donc pas être considérée isolément, mais comme partie intégrante d’un programme plus large.
L’existence d’un tel programme permet d’accumuler les savoir-faire, chez le maître d’œuvre comme chez les sous-traitants. C’est cette perte de compétences que le rapport Folz souligne le plus sévèrement. Elle découle directement de vingt années de quasi-arrêt dans la construction de nouvelles centrales : deux mises en chantier entre 1985 et 2006, contre 54 sur la décennie précédente. Pour maintenir ces compétences, il faut construire de nouveaux réacteurs à un rythme soutenu et régulier. Compte tenu de l’espérance de vie des centrales – quarante années, bientôt prolongées de dix à vingt ans par le « grand carénage » –, c’est bien entendu impossible.
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