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Énergie

L’air de rien, RTE défend une France nucléaire

RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité haute tension, a présenté six scénarios de production d’électricité pour 2050. Si tous prévoient d’atteindre la « neutralité carbone », la moitié font la part belle au nucléaire. Mais RTE n’a retenu qu’une hypothèse, sans étudier la trajectoire « sobriété ». Ce tour de passe-passe est critiqué par les écologistes.

RTE a présenté ses six scénarios de production d’électricité pour 2050, lundi 25 octobre à Paris. Chacun de ces « Futurs énergétiques 2050 », tels que les a intitulés le responsable du Réseau de transport d’électricité haute tension dans l’Hexagone, prévoit d’atteindre la neutralité carbone — c’est-à-dire un équilibre parfait entre les émissions de gaz à effet de serre et leur absorption par des puits de carbone tels que la forêt, les sols, etc. —, conformément aux engagements climatiques de la France.

Le bilan en est globalement positif : « En 2050, nous ne consommerons plus de pétrole ni de gaz fossiles. La facture d’électricité va augmenter. Mais nous estimons que le coût de cette augmentation est absolument maîtrisable », a assuré le président du directoire, Xavier Piechaczyk. Mais, accessible financièrement ne signifie pas facile : « La France doit simultanément faire face à deux défis : d’une part, produire davantage d’électricité en remplacement du pétrole et du gaz fossile et, d’autre part, renouveler les moyens de production nucléaire qui vont progressivement atteindre leur limite d’exploitation d’ici 2060. La question est alors : avec quelles technologies produire cette électricité totalement décarbonée ? »

Une équipe de quarante personnes a planché pendant deux ans sur cette interrogation. Leur première tâche a été d’évaluer la consommation finale d’électricité en 2050. Trois trajectoires ont été dessinées. La première, dite « de référence », atteindra 645 térawatt-heure (TWh) à la moitié du siècle, soit une hausse de 35 % de la consommation d’électricité actuelle [1]. « Ce scénario reprend le cadrage de la stratégie nationale bas-carbone réactualisée », a précisé M. Piechaczyk. Deux autres ont été esquissées : une trajectoire de « sobriété » à 555 TWh en 2050, correspondant à « des changements plus ou moins profonds de consommation et de production industrielle, et donc de mode de vie » ; et une autre de « réindustrialisation profonde », correspondant à une part de l’industrie de 12 à 13 % du PIB au lieu des 10 % de la trajectoire de référence, entraînant une consommation de 752 TWh en 2050.

Mais RTE n’a étudié précisément que cette trajectoire « de référence » : sur France Inter, le 25 octobre, Xavier Piechaczyk a précisé qu’ « on a choisi une trajectoire de référence qui ne change pas les modes de vie des Français ». Les études détaillées sur les trajectoires de sobriété et de réindustrialisation profonde ne seront livrés que début 2022.

Les candidats à la présidentielle s’affrontent déjà sur la question du nucléaire 

Deuxième étape, élaborer des scénarios de production d’électricité capables de répondre à cette demande de référence. RTE en a dévoilé six : trois prévoyant un abandon du nucléaire entre 2050 et 2060 et trois autres impliquant la construction de nouveaux réacteurs nucléaires pour une part de l’énergie atomique comprise entre 25 et 50 % du mix d’ici 2050. Ainsi :

  • Le scénario M0, qui vise une sortie du nucléaire et un mix 100 % énergies renouvelables (ENR) en 2050, décrit une fermeture des réacteurs nucléaires actuellement en fonctionnement plus précoce que prévue par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ;
  • Le scénario M1 dit de « répartition diffuse » prévoit un déploiement des énergies renouvelables un peu partout sur le territoire. « Dans ce scénario, une maison sur deux sera équipée d’un panneau solaire en 2060 », a résumé Thomas Veyrenc, directeur exécutif de RTE chargé du pôle stratégie, prospective et évaluation ;
  • Le scénario M23, dit « ENR grands parcs », table plutôt sur la construction de grands parcs éoliens sur terre et en mer pour la réalisation d’économies d’échelle ;
  • Le scénario N1, qui vise 26 % d’électricité dans le mix électrique de 2050, prévoit la construction d’une nouvelle paire d’EPR2 tous les cinq ans à partir de 2035 (soit huit EPR2) ;
  • Le scénario N2, où le nucléaire atteint 36 % du mix en 2050, table sur la construction d’une nouvelle paire d’EPR2 tous les trois ans à partir de 2035 (soit quatorze EPR2) ;
  • Le scénario N03 prévoit 50 % de nucléaire dans le mix en 2050, grâce à prolongation au-delà de soixante ans des réacteurs actuels et la construction de quatorze EPR2 et de quelques petits réacteurs modulaires (SMR).
Les différents scénarios proposés par RTE à l’horizon 2050 dans l’hypothèse de référence, l’hypothèse de sobriété n’étant pas étudiée.. © RTE

RTE s’est ensuite attaché à évaluer chacun des scénarios sur les plans technique, économique et environnemental. Un travail très attendu, à l’approche de l’élection présidentielle et alors que les candidats s’affrontent déjà sur la question du nucléaire — Emmanuel Macron, qui ne s’est pas encore officiellement présenté, pourrait même officialiser le lancement d’un programme de construction de six EPR2 avant Noël. Et les conclusions de RTE ne vont pas dans le sens des partisans d’un abandon de l’atome. « Atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un déploiement significatif des énergies renouvelables, mais se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des ENR plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques », a indiqué Thomas Veyrenc. RTE a présenté comme moins coûteux les trois scénarios de renouvellement du parc nucléaire. Les scénarios 100 % ENR nécessiteraient des moyens de pilotage du réseau (batteries, stockage hydraulique type Step, interconnexions) voire la construction de nombreuses centrales thermiques à gaz décarboné, et s’avéreraient plus coûteux. RTE a chiffré à 10 milliards d’euros par an la différence de coût entre les scénarios M23 et N2. Les scénarios 100 % renouvelables impliqueraient aussi des « paris technologiques lourds » — mais ce qui serait aussi le cas pour la prolongation du fonctionnement des centrales nucléaires existantes au-delà de soixante ans et la construction de SMR.

« Une présentation partielle et partiale »

Cette présentation n’a pas manqué de faire réagir les écologistes. Principal grief, le report de la publication des détails de la trajectoire « sobriété » à début 2022. « La présentation des scénarios RTE ce lundi matin se révèle être partielle et donc partiale, ont dénoncé l’eurodéputé et candidat à l’élection présidentielle Yannick Jadot, le député écologiste du Maine-et-Loire Mathieu Orphelin et la porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts Éva Sas dans un communiqué. Le choix a été fait de se baser principalement sur une seule trajectoire d’évolution de la consommation électrique excluant toute évolution sociétale notamment de maîtrise des consommations. Nous ne pouvons que regretter que le rapport complet ne soit pas publié ce matin ; c’est évidemment là aussi un choix politique pour orienter les premiers articles et réactions et alimenter le “il faut plus de nucléaire, c’est inéluctable”. » Pour eux, « le but du président de la République et de son gouvernement est clair : justifier à n’importe quel prix la relance du nucléaire ».

« L’incertitude sur les coûts du nouveau nucléaire est très forte » 

Ils contestent en particulier les évaluations de coût des différents scénarios. « L’incertitude sur les coûts du nouveau nucléaire est très forte, rappellent-ils. Les coûts considérés pour le futur nucléaire ne sont pas prouvés et n’ont jamais été rencontrés dans la réalité. Ils se fondent sur de nouvelles hypothèses très optimistes de l’État (50 milliards d’euros pour six EPR alors que l’EPR de Flamanville n’est toujours pas en exploitation et coûtera (…) 19 milliards d’euros avec les financements). La Cour des comptes alertait pourtant en 2020 : “On ne peut pas établir avec un degré raisonnable de certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au coût de construction d’EPR de type Flamanville se matérialiseront”. »

Greenpeace n’a pas non plus mâché ses mots sur les scénarios de RTE impliquant la construction de nouveaux réacteurs. « À l’heure où l’on se demande si l’industrie nucléaire est encore capable de construire un seul réacteur, parier sur quatorze EPR reviendrait à condamner la transition énergétique et la lutte contre les changements climatiques au même fiasco que l’EPR de Flamanville », a commenté Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique à Greenpeace. Lancé en 2007, le chantier de l’EPR de Flamanville était censé s’achever en 2012 et coûter 3,3 milliards d’euros. Mais une succession de malfaçons sur la cuve et les soudures ont entraîné d’importants surcoûts et retards et sa mise en service ne devrait pas avoir lieu avant fin 2022.

Lire aussi : Un avenir sans nucléaire est possible, selon Négawatt

« L’étude RTE comme les autres scénarios (Négawatt, Ademe) publiés prochainement doivent maintenant permettre d’avoir un vrai débat démocratique éclairé pour choisir les orientations à venir », a estimé pour sa part le Réseau Action Climat. La synthèse du travail de l’association négaWatt, qui prévoit l’abandon du nucléaire et se concentre sur des hypothèses de sobriété énergétique, a été présentée mardi 19 octobre ; son rapport détaillé devait être dévoilé ce jour. L’Ademe, elle, travaille sur quatre scénarios de prospective « énergie-ressources » dont la publication est prévue mi-novembre.

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