"Personne ne peut garantir qu'il n'y aura jamais un accident grave en France", admettait, au lendemain de la catastrophe de Fukushima du 11 mars 2011, le patron de l'Autorité de sûreté nucléaire française, André-Claude Lacoste. Il nous faut "imaginer l'inimaginable", ajoutait le directeur de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, Jacques Repussard. Une enquête montrait alors que près d'un Français sur cinq voyait dans le risque nucléaire "le problème actuel le plus préoccupant".
Un an plus tard, pourtant, François Hollande était élu à la tête de l'Etat avec, sur l'atome, un programme a minima : fermeture d'une unique centrale, Fessenheim (Haut-Rhin), avant la fin de son mandat ; poursuite du réacteur de troisième génération (EPR) de Flamanville (Manche) ; réduction de la part du nucléaire repoussée à l'horizon 2025. Cela, quand l'Allemagne, la Belgique ou la Suisse décidaient de s'en affranchir totalement.
Ce sont les racines de ce paradoxe – "le succès de la nucléarisation de la France en dépit de fortes résistances citoyennes" – que met à nu Sezin Topçu, sociologue des sciences et des techniques, chargée de recherche au CNRS, dans son pénétrant essai, La France nucléaire. Dépassant le constat maintes fois dressé d'un "Etat nucléaire", où le corps des X-Mines vampirise cabinets ministériels, entreprises du secteur de l'énergie et organismes publics, la chercheuse dissèque au scalpel, d'une façon presque clinique, la dialectique complexe et changeante du rapport de forces entre pouvoir et mouvement antinucléaire.
STRATÉGIES GOUVERNEMENTALES
"Quel est l'art de faire vivre l'énergie nucléaire, cette fierté nationale, cette exception française ?", questionne Sezin Topçu. En réponse, elle décortique "les stratégies gouvernementales pour contenir (réprimer, contourner, devancer, coopter, canaliser, "scientifiser", etc.) les critiques", au long de quatre décennies marquées par le "repli", puis le "renouveau" de la contestation antinucléaire.
Lorsque la France lance son programme électronucléaire, la fronde, qui culmine avec la manifestation géante de 1977 contre le surgénérateur de Creys-Malville (Isère), est fille de Mai 68 et vise "un choix de société, autoritaire, policière, technicienne". Dix ans plus tard, la critique se déporte du risque démocratique vers le risque radiologique, dont la crainte est nourrie par l'explosion de Tchernobyl de 1986 et la polémique sur le mensonge d'Etat entourant les retombées du nuage radioactif. Des laboratoires indépendants se montent, des militants associatifs se posent en contre-experts de la fission, la revendication devient celle de la "transparence".
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