Running gag

Et un retard de plus pour l’EPR : pas de démarrage avant fin 2023

EDF a annoncé que le chargement du combustible était à nouveau repoussé et que la facture du réacteur de Flamanville allait grimper à 12,7 milliards d’euros. Une nouvelle qui tombe mal pour la filière, au moment où Emmanuel Macron veut relancer le programme nucléaire français et que quinze réacteurs sont à l’arrêt.
par Jean-Christophe Féraud
publié le 12 janvier 2022 à 15h07
(mis à jour le 12 janvier 2022 à 19h42)

Ce n’est pas une surprise pour qui suit depuis dix ans les déboires à répétition du chantier calamiteux du réacteur EPR de Flamanville (Manche). Il n’empêche que ce énième retard – et surcoût – annoncé ce mercredi par EDF fait particulièrement désordre au moment où la filière veut croire en une renaissance de l’atome – énergie décarbonée mais productrice de déchets radioactifs – pour faire face à l’urgence climatique. D’autant qu’Emmanuel Macron s’est franchement engagé à relancer le programme nucléaire français en donnant son feu vert à six nouveaux EPR s’il est réélu en avril.

L’électricien a fait savoir ce matin qu’il avait décidé d’un nouvel «ajustement» du calendrier et de la facture du projet Flamanville 3, le premier EPR français en construction sur la centrale normande depuis maintenant quinze ans : la date de chargement du combustible a été décalée de fin 2022 au «second trimestre 2023». Le coût prévisionnel du fameux réacteur à eau pressurisée de 1 650 MW a été réévalué «de 12,4 milliards d’euros à 12,7 milliards d’euros». De son côté, la Cour des comptes allait jusqu’à évaluer la facture finale à 19,1 milliards d’euros dans un rapport de juillet 2020.

Et quand EDF parle de «chargement de combustible», cela veut dire qu’il faudra encore plusieurs semaines avant que le nouveau réacteur ne produise ses premiers mégawatts sur le réseau. La mise en service est en effet une opération complexe qui nécessite à chaque étape des autorisations de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) : après le chargement des crayons d’uranium dans le cœur du réacteur, le gendarme du nucléaire doit autoriser la première «divergence» (réaction nucléaire), puis la montée en puissance progressive par paliers.

Calendrier «très optimiste»

Lors d’un point presse ce mercredi matin, Xavier Ursat, le directeur exécutif du groupe chargé des «projets nucléaires», a reconnu que l’entrée en service de Flamanville 3 n’interviendrait pas avant «la fin de l’année 2023». Un calendrier encore jugé «très optimiste» par Yves Marignac, expert au sein de Négawatt, association critique du nucléaire, qui milite pour le développement des énergies renouvelables : «Ce nouveau retard ne me surprend absolument pas, je fais partie de ceux qui avaient alerté sur le caractère idéaliste et irréaliste des prévisions d’EDF, compte tenu de la complexité des travaux de reprise des soudures du circuit principal secondaire du réacteur demandés par l’Autorité de sûreté nucléaire», rappelle ce spécialiste à Libération. Pour lui, «il faut s’attendre à de nouvelles difficultés lors de la phase d’essai du réacteur»… Un scepticisme balayé par Alain Morvan, directeur du projet Flamanville 3 depuis deux ans, pour qui l’EPR normand «n’est plus un chantier mais un site en pré-exploitation avec un niveau de finition de 90 %».

Pour mémoire, le premier béton de l’EPR de Flamanville a été coulé en décembre 2007 et sa construction devait s’achever en 2012, pour un budget de 3,4 milliards d’euros selon les plans initiaux d’EDF. Mais entretemps, une série d’accidents industriels s’est abattue sur le chantier : découverte en 2011 de malfaçons sur le gros œuvre, puis en 2015 et 2016 dans les pièces de métallurgie forgée à l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire), gros problème de plomberie identifié en 2018 avec des soudures mal faites sur le circuit de refroidissement du réacteur… Autant de réparations lourdes et difficiles, à réaliser sous l’œil très vigilant de l’ASN, qui ont totalement fait déraper le chantier. Au bout du compte, on en est désormais à plus de dix ans de retard, pour un coût multiplié par quatre. Tous les compteurs ont explosé, au point que Flamanville en est arrivé à symboliser la perte de savoir-faire nucléaire français.

Alors comment l’électricien justifie-t-il cette nouvelle dérive industrielle et financière de l’EPR de Flamanville ? Il y a bien sûr la pandémie de Covid qui a «impacté le planning» depuis le printemps 2020, comme le souligne Alain Morvan. Les plans d’EDF ont surtout été contrariés par la réparation des huit grosses soudures de traversée et des quelque 80 soudures du circuit secondaire du réacteur. Le groupe, qui a mobilisé plus de 300 techniciens et 8 robots spécialisés, estime aujourd’hui que «70 % des soudures ont été réalisées» et promet que les réparations seront terminées à la fin de cet été 2022. Mais un autre problème est venu jeter une ombre sur l’EPR, cette fois de Chine, où les deux premiers réacteurs de ce type sont entrés en service en 2018 et 2019 : en juin dernier, l’EPR numéro 1 de la centrale de Taishan a dû être arrêté suite à une fuite radioactive. En cause, un «problème d’inétanchéité» des assemblages de combustibles dans le cœur du réacteur. Selon Nicolas Février, chargé du «nouveau nucléaire» chez EDF, «le problème a été identifié et ne remet pas en cause la conception de l’EPR». Il s’agirait d’une pièce défectueuse à changer dans le dispositif maintenant les 241 crayons d’uranium… Mais le feuilleton n’est peut-être pas terminé : selon Yves Marignac de Négawatt), «l’instruction est toujours en cours par les autorités de sûreté chinoise et française».

L’Elysée s’agace

Cette nouvelle déconvenue industrielle et financière tombe mal pour EDF, engagé depuis plusieurs jours dans un bras de fer avec le gouvernement, qui veut limiter l’explosion de la facture énergétique des Français en forçant l’entreprise publique à revendre plus d’électricité nucléaire à ses concurrents via le mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh). Ce qui n’arrange pas du tout les affaires de l’opérateur historique. L’exécutif ne cache plus son agacement devant la mauvaise volonté de l’énergéticien à contribuer à ce «bouclier tarifaire» promis par le Premier ministre, Jean Castex, le 30 septembre au 20 heures de TF1. Il faut dire que la maison EDF risque d’y perdre plusieurs milliards d’euros. Mais ce nouveau dérapage de l’EPR de Flamanville, qui vient s’ajouter à de multiples arrêts de réacteurs pour cause de maintenance ou de problèmes de sûreté faisant craindre des coupures d’électricité cet hiver, commence à agacer en haut lieu.

Emmanuel Macron n’a pas ménagé sa peine pour réhabiliter le nucléaire, notamment lors de son discours du Creusot, en décembre 2020, où il a brisé le tabou de la relance de l’atome, installé depuis la catastrophe de Fukushima. «Notre avenir énergétique et écologique passe par le nucléaire», avait-il ainsi déclaré. Le 9 novembre, il a profité de son allocution prévue sur la question sanitaire pour rappeler que la France allait construire de «nouveaux réacteurs nucléaires». Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, l’a pris au mot en estimant la semaine dernière qu’il était «urgent» de lancer «des actions concrètes» pour commencer la construction de ces six nouveaux EPR. Sortie culottée : Lévy devait déjà savoir que son groupe s’apprêtait à annoncer un nouveau retard à Flamanville. Un membre du gouvernement, passablement agacé : «Les nouveaux EPR, c’est pour 2037. Jean-Bernard Lévy, il faudrait qu’il s’occupe des problèmes d’EDF maintenant.» Qui ne tente rien n’a rien, d’autant que le PDG est en fin de mandat. Mais on voit mal comment Emmanuel Macron pourrait désormais donner son feu vert à un programme qui coûtera au moins 50 milliards d’euros avant que l’EPR de Flamanville n’ait fait la preuve de son bon fonctionnement. Et en toute sûreté.

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