Source : La Tribune

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Réacteurs nucléaires défaillants, prix plafonnés, EPR retardé : EDF, le désalignement des planètes

Au moment même où il fait face à un mur d’investissements, le fleuron tricolore, déjà lourdement endetté, va essuyer des pertes colossales. En cause : la combinaison d'une exigence de l'État d'augmenter le volume d'électricité qu’il vend à prix cassé à ses concurrents, et d’une faiblesse historique de la disponibilité de ses centrales nucléaires. Pourtant, jusqu’ici, le ciel semblait s’éclaircir pour EDF, après un alignement des planètes en faveur de l’atome. Mais la dernière semaine a rebattu les cartes. Explications.

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Le gouvernement a annoncé jeudi soir un relèvement du plafond volume d'électricité nucléaire qu'EDF vend à prix réduit à ses concurrents, afin de limiter la hausse des tarifs réglementés de l'électricité (TRV) à 4% au 1er février, et ainsi ménager le pouvoir d'achat des consommateurs en contenant la flambée des prix de l'énergie.
Le gouvernement a annoncé jeudi soir un relèvement du plafond volume d'électricité nucléaire qu'EDF vend à prix réduit à ses concurrents, afin de limiter la hausse des tarifs réglementés de l'électricité (TRV) à 4% au 1er février, et ainsi ménager le pouvoir d'achat des consommateurs en contenant la flambée des prix de l'énergie. (Crédits : Reuters)

Pour sûr, on se souviendra longtemps, chez EDF, de ce vendredi 14 janvier, lorsque le cours de l'action s'est effondré de plus de 20% à l'ouverture de la Bourse de Paris, pour finir à 8,84 euros en clôture, en recul de 14,59% par rapport à la veille. Une tempête qui traduit de sombres perspectives, après l'annonce, la veille, du coût des mesures que lui impose l'Etat pour contenir la facture énergétique des Français : plus de huit milliards d'euros en 2022 !

Et pourtant, en ce début d'année 2022, les voyants semblaient au vert pour le fleuron français de l'énergie. Après l'accord de principe d'Emmanuel Macron pour relancer le nucléaire et la proposition de Bruxelles de classer l'atome civil parmi les activités contribuant à la transition énergétique, cette source d'énergie bas carbone signait son retour en force dans plusieurs Etats européens, dix ans après l'accident de Fukushima. EDF, en tout cas, avait de quoi s'en réjouir, lui qui réclame de longue date que soit prise la décision de construire de nouveaux EPR dans l'Hexagone, et espère exporter cette technologie, vue comme le fer de lance du nouveau nucléaire tricolore, au-delà des frontières du pays.

Mais, et c'est peu dire, tout ne s'est pas déroulé comme prévu. Car au moment-même où l'électricien fait face à un mur d'investissements colossal, à la fois pour entretenir son parc nucléaire existant et pour le renouveler, les revers s'enchaînent et s'aggravent les uns les autres. D'une hausse forcée du volume d'électricité à prix cassé que l'Etat lui impose de vendre à ses concurrents, à l'ajustement à la baisse de ses prévisions de production en 2022, depuis quelques jours, rien ne va plus pour EDF. De quoi nourrir un peu plus les craintes de son PDG, Jean-Bernard Lévy, qui s'était inquiété il y a un an de voir le groupe « relégué en deuxième division ». Afin d'y voir plus clair, La Tribune vous déroule le récit d'une semaine noire pour le leader français de l'énergie, dont les répercussions risquent d'être aussi nombreuses que profondes.

Production étranglée

Dès le mercredi 12 janvier, les ennuis pointent le bout de leur nez. Le fournisseur d'électricité annonce en effet une énième hausse de la facture et un nouveau retard sur le chantier de son EPR de Flamanville (Manche), le seul actuellement en construction en France. De quoi interroger sur sa capacité réelle à construire rapidement des réacteurs nouvelle génération, alors même que le gouvernement espère en mettre de nouveaux sur pied dès 2035-2037. Mais aussi questionner sur le manque de marges de manœuvre du système électrique de la France, alors que dix de ses centrales nucléaires historiques se trouvent en fait à l'arrêt, poussant l'exécutif à recourir au charbon pour passer l'hiver.

D'autant que, dès le lendemain, les inquiétudes se renforcent. Alors même que ni l'Agence de sûreté nucléaire (ASN), ni EDF n'ont encore communiqué sur le sujet, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) notifie à l'Agence France Presse (AFP) qu'une anomalie a été découverte sur l'un des deux réacteurs de Penly (Seine-Maritime), similaire à un défaut de corrosion déjà détecté récemment dans deux autres centrales. Résultat : contraint de prolonger la durée d'arrêt des cinq réacteurs concernés, EDF n'a d'autre choix que de réviser dès le soir-même son estimation de production nucléaire 2022, qui chute à 300-330 TWh seulement contre 330-360 TWh auparavant.

« C'est une très mauvaise nouvelle, notamment dans un contexte d'explosion des prix de marché. Produire 300 TWh serait du jamais vu, ce serait même 10% en-dessous du niveau du plus fort de la pandémie, qui avait perturbé le fonctionnement du parc en 2020 », note Nicolas Goldberg, consultant Energie chez Colombus Consulting.

Un cocktail explosif

Hasard du calendrier : au même moment, ce jeudi 13 janvier au soir, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, annonce dans les colonnes du Parisien que l'électricien devra augmenter de 20 térawattheures (TWh) le volume d'électricité nucléaire à tarif réduit (ARENH) qu'il vend à ses concurrents chaque année, afin de contenir l'envolée des prix de l'énergie. Soit un plafond désormais fixé à 120 TWh, contre 100 TWh depuis près de dix ans. Mais alors que ce prix est fixé à 46,20 euros le MWh seulement par les pouvoirs publics (contre plus de 200 euros actuellement sur le marché), le dispositif impacter le résultat brut d'exploitation d' EDF « entre 7,7 et 8,4 milliards d'euros », précise l'exécutif.

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« Visiblement, le gouvernement a coupé la poire en deux : la moitié sera à la charge de l'Etat, avec la baisse de la TICFE [la taxe intérieure de l'électricité, ndlr], et l'autre moitié prise en charge par EDF. En fait, il lui demande de mettre la main à la poche pour éteindre l'incendie sur le court terme », explique Jacques Percebois, et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l'Energie (CREDEN).

Fatalement, EDF vendra donc beaucoup moins d'électricité que prévu aux tarifs du marché, alors même que ceux-ci devraient continuer de flamber. « Entre les 20 TWh d'ARENH supplémentaires, 7 TWh fourni à un prix encadré dans le cadre d'un contrat à long terme avec les électro-intensifs baptisé Exceltium, quelques TWh vendus sur les réseaux aux transporteur et distributeur RTE et Enedis, et le tarif réglementé de vente », les bénéfices que le groupe aurait pu tirer de la hausse des prix en 2021 devraient être vite épongés, précise Nicolas Goldberg. D'autant que le groupe a déjà vendu à l'avance ces 20 TWh d'électricité, et devra donc les racheter au moment même où les prix atteignent des sommets.

Des impacts sur les investissements d'EDF ?

Et les conséquences de ce manque à gagner promettent d'être nombreuses. « Cela risque d'altérer les niveaux d'investissement du groupe, ce qui est mortifère au moment où il faut développer de nouvelles unités de production bas carbone », fait valoir le consultant. « EDF pourrait avoir du mal à financer le Grand Carénage [le programme de renforcement du parc nucléaire actuel pour rallonger sa durée d'exploitation, ndlr], et encore plus de mal à financer de nouveaux réacteurs. Et après, on se plaint du manque de capacités », abonde Jacques Percebois. Et ce, alors que le groupe est déjà endetté à hauteur de plus de 40 milliards d'euros.

« L'augmentation du volume d'ARENH est un expédient réalisé sur le dos d'EDF. Au départ, ce mécanisme a été mis en place pour réduire les prix, et on voit bien que c'est l'inverse qui se produit. Et alors que construire de nouveaux réacteurs s'avère long et cher, on pousse encore EDF à se saborder. On sait pourtant qu'on besoin de beaucoup d'énergie décarbonée », estime Brice Lalonde, ancien ministre de l'Environnement et président du think tank Equilibre des Energies.

Les industriels électro-intensifs, eux, se félicitent de la nouvelle, qui permettra de les soulager au moins pour quelques temps face à l'explosion des prix. Une chose est sûre cependant : cette mesure ne suffira pas sur le long terme, et la question continuera d'être au cœur des discussions entre EDF, l'Etat français et l'Union européenne. Et ce, au moins jusqu'à la fin du mécanisme de l'ARENH, prévue en 2025.

Marine Godelier

 


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