Source : La Tribune

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Défaut de corrosion : EDF devra contrôler tout le parc nucléaire

En plein débat sur la relance de l'atome, l’inquiétude grandit sur la présence d’une anomalie générique touchant plusieurs des centrales du pays, après la détection d’un défaut de corrosion dans des réacteurs à Civaux, Chooz et Penly. Alors que, selon l’Autorité de sûreté nucléaire, ce problème aurait pu échapper aux contrôleurs lors des visites décennales, l’ensemble du parc nucléaire devra être réévalué à l’aune de ce nouvel élément, affirme son directeur général adjoint, Julien Collet, à la Tribune. D’abord par un travail sur les données existantes, puis dans un vaste programme d’inspection, qui nécessitera l’arrêt des installations concernées. Mais puisque tous les réacteurs ne pourront pas stopper leur production en même temps, EDF devra définir lesquels sont prioritaires...tout en garantissant la sûreté des autres. Explications.

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Un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) - actuellement arrêté dans le cadre de la visite décennale - rencontre un problème de corrosion sous contrainte sur un système de sécurité. Ce type de dysfonctionnement a déjà été détecté ou est soupçonné sur quatre autres réacteurs EDF actuellement fermés.
Un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) - actuellement arrêté dans le cadre de la visite décennale - rencontre un problème de corrosion sous contrainte sur un système de sécurité. Ce type de dysfonctionnement a déjà été détecté ou est soupçonné sur quatre autres réacteurs EDF actuellement fermés. (Crédits : Pascal Rossignol)

Alors que la France dépend de l'atome pour produire son électricité, les inquiétudes s'accentuent sur l'état réel de son parc nucléaire, après qu'EDF a détecté un défaut de corrosion dans trois de ses centrales. Car les causes de cette anomalie « sérieuse », selon l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), restent inconnues, et font planer l'éventualité d'un défaut générique touchant l'ensemble des réacteurs de l'Hexagone. Sans compter qu'elles interrogent sur de possibles trous dans la raquette lors des visites décennales, ces contrôles techniques permettant de statuer sur la poursuite ou non de l'exploitation d'une unité de production pour les dix prochaines années. Et pour cause, ce phénomène « n'était jusqu'alors pas considéré comme envisageable, et donc pas directement recherché pendant l'inspection », explique à La Tribune Julien Collet, directeur général adjoint de l'ASN.

Pourtant, force est de constater que celui-ci est bien réel : pour rappel, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a fait savoir mi-janvier qu'un réacteur de la centrale de Penly (Seine-Maritime) rencontrait une fissuration sur un système de sécurité, à proximité des tuyauteries du circuit de refroidissement, liée à une corrosion sous contrainte. Un dysfonctionnement déjà détecté ou soupçonné le mois précédent sur quatre autres réacteurs EDF déjà fermés : les deux unités de production de la centrales de Civaux (Vienne), où le défaut a été repéré grâce à des expertises métallurgiques poussées réalisées en décembre, et celles de Chooz (Ardennes), laquelle est concernée pour au moins un de ses deux réacteurs.

Analyse des données existantes

Résultat : pour tous les autres, EDF « devra réexaminer l'ensemble des contrôles déjà réalisés, afin de voir s'il n'y a pas certains signaux qui pourraient correspondre à une corrosion », précise Julien Collet. Un travail déjà bien entamé, affirme-t-on chez l'opérateur historique.

« L'objectif est de contrôler l'ensemble du parc. On épluche actuellement les données récoltées dans le cadre des visites décennales », glisse une source chez EDF.

Concrètement, lors des opérations de maintenance, les fissurations recherchées sont celles dites « par fatigue thermique des composants ». Or, ces dernières « ne délivrent pas le même signal que les corrosions sous contrainte lors des examens par ultrason », développe Julien Collet. Alors que les échos de ces deux défauts diffèrent, le contrôleur a donc pu classer des données correspondant à une éventuelle corrosion comme « parasites », sans investigation supplémentaire. L'idée sera donc de les analyser une nouvelle fois, à l'aune des connaissances récentes.

« EDF doit également regarder les conditions de fabrication, les procédés de soudage, les conditions d'exploitation et de température, la thermo-hydraulique, etc. Tout l'environnement doit être pris en compte, pour déterminer s'il y a des éléments spécifiques communs dans les installations touchées. Est-ce qu'un soudeur y est intervenu systématiquement ? Les matériaux sont-ils différents ? », illustre Thierry Sollier, expert en contrôles à l'IRSN.

Une inspection qui, a priori, ne nécessitera pas d'arrêter toutes les centrales.

Un programme priorisant les réacteurs à contrôler

Du moins dans un premier temps. Car cette étape préliminaire devra permettre de définir un vaste programme de vérification, qui lui nécessitera de stopper la production d'électricité dans les installations concernées. « Sur la base de ses investigations, à la fois sur la relecture des données récoltées dans le passé et à Civaux, Chooz et Penly, EDF proposera à l'ASN un ordre de priorité des réacteurs à contrôler », ajoute Julien Collet.

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Ainsi, ces opérations se succéderont selon un ordre défini par EDF, et validé par l'ASN. Surtout, leurs dates « devront être évaluées en fonction des enjeux de sûreté, avec des délais acceptables de vérification », souligne Julien Collet.

« On attend que EDF apporte des éléments sur le risque que génère la présence de cette corrosion. Car celle-ci entraîne des fissurations des tuyauteries, qui réduisent la résistance mécanique des tuyaux. A un moment, la résistance va devenir insuffisante, ce qui induit une possibilité de rupture. EDF doit donc faire des calculs mécaniques pour déterminer si la tuyauterie sera robuste ou pas, en fonction des analyses précédentes », explique le DG adjoint de l'ASN.

Amélioration des visites décennales

Une chose est « sûre », affirme-t-il : « À l'avenir, de nouveaux procédés de contrôle devront être développés pour rechercher ce phénomène-là ». Concrètement, les programmes seront « optimisés », y compris pour les visites décennales actuelles, ou celles qui s'ouvriront dans les prochains mois.

« Maintenant que ces mécanismes d'endommagement sont connus, EDF le prendra en compte. Et mettra en place des procédés plus innovants et performants, afin de les détecter à stade très précoce. C'est plus facile de contrôler quand on sait ce qui est redouté », ajoute Thierry Sollier.

Une question reste néanmoins en suspens : EDF ne devra-t-il vérifier que les coudes de tuyauterie où le défaut a été identifié, dans le circuit de refroidissement, ou l'ASN lui demandera-t-il d'étendre son inspection à l'ensemble des soudures des centrales ? « Il faudra que l'on prenne prochainement position sur ce sujet », répond Julien Collet. Alors qu'EDF subit de plein fouet le manque de disponibilité de ses réacteurs et la décision récente de l'exécutif d'augmenter le volume d'électricité qu'il doit vendre à ses concurrents à prix cassé, le timing ne joue, en tout cas, pas en sa faveur.

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Marine Godelier

 


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