Source : Le Monde   (3/2/2022)

https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/02/03/la-croisade-anti-nucleaire-d-une-autriche-isolee-au-sein-de-l-ue_6112151_3234.html

En croisade contre l’énergie nucléaire, l’Autriche fait cavalier seul au sein de l’UE

Ce pays, où le refus du nucléaire fait consensus de la gauche à l’extrême droite, va engager une procédure contre le « label vert » européen.

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Centre de contrôle de la centrale fermée de Zwentendorf, à Vienne, le 10 janvier 2022, censée être la première destinée à fournir de l’électricité à six millions de foyers et restée hors service depuis le référendum de novembre 1978.

« L’Autriche a choisi très clairement depuis quarante ans un chemin sans énergie nucléaire. Et nous suivons ce chemin de manière très cohérente. » Le message a beau être formulé de manière très polie depuis son bureau qui domine Vienne, il est ferme. La ministre (Verts) de l’action pour le climat, Leonore Gewessler, compte bien tout faire pour s’opposer aux partisans du nucléaire dans le débat qui déchire actuellement l’Union européenne (UE) autour de la taxonomie, cette classification des sources d’énergie qui doivent permettre de lutter contre le changement climatique.

Depuis que la Commission européenne a proposé, fin décembre, de reconnaître que le nucléaire puisse être « durable », la petite Autriche, 8,8 millions d’habitants, a pris la tête du front du refus. Dans ce pays qui s’enorgueillit de n’avoir jamais eu de centrale nucléaire en activité sur son territoire et de produire près de 80 % de ses besoins en électricité par des sources durables – le taux le plus élevé en Europe –, cette position fait l’objet d’un consensus transpartisan, de la gauche à l’extrême droite.

« L’énergie nucléaire est une technologie dangereuse », martèle ainsi Mme Gewessler, 44 ans, en défendant qu’elle est en plus « trop chère » et « trop lente pour contribuer » à la lutte contre le changement climatique : « Les énergies renouvelables sont beaucoup plus rapides. » Sa position est facile à assumer : l’Autriche tire 60 % de son électricité de l’hydraulique grâce à sa géographie montagneuse. Mais cette ancienne dirigeante d’une ONG environnementale, farouchement antinucléaire, sait aussi appuyer où ça fait mal : « L’un des exemples les plus marquants est la centrale de Flamanville [en Normandie] : elle devait ouvrir en 2011 et elle n’est toujours pas branchée. »

Guérilla juridique

Dans le combat autrichien, la France fait en effet figure de principale adversaire. « Ce n’est pas un secret que nos positions sont très différentes », estime la ministre. Moins diplomatiques, des activistes de Greenpeace Autriche sont même allés manifester jusque devant l’ambassade de France à Vienne « contre la politique nucléaire véhémente de la France du président Macron ». Ils savent pouvoir compter sur leur gouvernement pour les soutenir. Depuis 1978 et l’annulation de la mise en service d’une centrale nucléaire après un long mouvement de protestation suivi d’un référendum, l’Autriche a en effet renoncé au nucléaire. Cette position a été encore renforcée après la catastrophe de Tchernobyl de 1986.

« En Autriche, les antinucléaires ont réussi à fermer les yeux sur leurs différences idéologiques, vante ainsi Heinz Stockinger, l’un des anciens leaders du mouvement antinucléaire de l’époque. Sans compter que notre modèle fédéral a permis de moins verrouiller la question que dans la très centralisatrice France. » Comme en Allemagne, le mouvement antinucléaire a aussi servi de fonts baptismaux aux Verts autrichiens, qui sont au pouvoir depuis début 2020. Le programme de coalition gouvernementale qu’ils ont signé avec les conservateurs prévoit explicitement « de s’opposer par tous les moyens politiques et juridiques disponibles à la construction et à l’extension de centrales nucléaires en Europe ».

Depuis des années, l’Autriche multiplie ainsi les recours juridiques contre les centrales nucléaires basées chez ses voisins slovènes, hongrois, tchèques et slovaques, au grand détriment de ces ex-pays communistes qui font, eux, partie des principaux soutiens de la France sur ce dossier. « En cas d’accident, nous serions les premiers touchés », explique la ministre pour défendre cette guérilla juridique. Le problème est que la position autrichienne reste minoritaire au niveau européen face à l’urgence du changement climatique.

Même si elle assure avoir « le soutien du Luxembourg, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Danemark et du Portugal », Mme Gewessler sait que cela ne suffit pas pour former une majorité à même de s’opposer à l’« acte délégué », la voie juridique simplifiée choisie par Bruxelles. Elle a donc annoncé, mercredi 2 février, son intention d’engager une procédure devant la Cour de justice de l’UE. « La Commission a commis des erreurs de procédure et il n’y a pas de base juridique pour passer par un acte délégué », défend-elle. Pour l’instant, seul le Luxembourg s’est engagé à la suivre dans cette voie. Et jusqu’ici, l’Autriche a perdu la plupart de ses recours contre le nucléaire engagés au niveau européen.

Jean-Baptiste Chastand(Vienne, correspondant régional)

 


 

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