Source : Le Monde    (15/3/2022)
https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/15/le-groupe-edf-se-prepare-a-une-annee-noire_6117590_3234.html

Le groupe EDF se prépare à une année noire

Le financement du « bouclier tarifaire » en faveur des ménages et les avaries du parc nucléaire vont amputer ses recettes 2022 d’au moins 26 milliards d’euros.

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En temps ordinaires et sur un marché normal, les dirigeants d’Electricité de France (EDF) auraient de quoi se frotter les mains face à la flambée des prix de l’électricité. Ils se préparent pourtant, de leur propre aveu, à une année très difficile – au moment même où l’entreprise, acteur-clé de la transition énergétique, doit investir dans le nucléaire, les réseaux et les énergies renouvelables.

Le groupe a annoncé, lundi 14 mars, que le coût de ses difficultés, liées aux mécanismes de marché et à la baisse de sa production nucléaire, atteindrait 26 milliards d’euros, contre 18 milliards dans son estimation précédente. Selon certains calculs, son ebitda (résultat brut d’exploitation avant impôts, dépréciations, frais financiers et amortissement) sera négatif, de l’ordre de 2 milliards, alors qu’il affichait un excédent de 18 milliards en 2021 pour un chiffre d’affaires de 84,5 milliards.

Première difficulté : des corrosions découvertes (ou envisagées) ces dernières semaines sur les tuyauteries de systèmes de sécurité de certains réacteurs. Leur arrêt s’est ajouté à l’indisponibilité de certaines tranches pour contrôles, dont certaines visites décennales longues de plusieurs mois. A la fin de février, 12 des 56 réacteurs du parc français d’EDF avaient cessé de produire, dont les quatre plus puissants de Chooz (Ardennes) et Civaux (Vienne), soit 5 800 mégawatts (MW).

« Des cadeaux à des fournisseurs alternatifs »

Jamais EDF n’a enregistré de baisse aussi importante de sa production nucléaire, qui oscillera entre 295 et 315 térawattheures (TWh) en 2022. Ce manque à produire de 30 TWh se traduira par une perte de 16 milliards. Mais comme cette production a été prévendue en 2021, le groupe va devoir la racheter au prix fort sur le marché pour honorer ses engagements au moment où la guerre en Ukraine – et ses propres baisses de production – fait flamber les cours européens de l’électricité.

Deuxième source de pertes pour l’entreprise : les volumes supplémentaires d’électricité que l’Etat l’a obligé à vendre aux fournisseurs concurrents, comme Engie ou TotalEnergies, pour limiter à 4 % la hausse de la facture des particuliers et les petits professionnels (artisans, commerçants…) dans le cadre de son « bouclier tarifaire ». Ainsi, 20 TWh s’ajouteront aux 100 TWh de cessions obligatoires. Samedi 12 mars, le gouvernement a publié au Journal officiel le décret et les arrêtés sur le relèvement de ce quota.

EDF va devoir acheter ces 20 TWh au prix fort (257 euros le MWh) à ses concurrents pour leur revendre à 46,20 euros

Là encore, EDF a déjà prévendu ces volumes de courant en 2021. Il va donc devoir acheter ces 20 TWh au prix fort (257 euros le MWh) à ses concurrents pour leur revendre à 46,20 euros. EDF estime désormais à 10,2 milliards l’impact négatif sur son ebitda (contre − 8,4 milliards prévus initialement) de ce mécanisme baptisé Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).

Unanimes, les syndicats d’EDF ont dénoncé le financement du « bouclier tarifaire » par l’entreprise. Il n’est rien d’autre que « des cadeaux à des fournisseurs alternatifs » et il est « en train de tuer EDF », s’insurge la CGT. Ils s’y sont opposés en déposant des recours juridiques en France et à Bruxelles, car l’opération est contraire, selon eux, aux règles de la concurrence défendues par la Commission européenne.

Toutes ces difficultés ne tiennent pas compte d’une possible dégradation liée au conflit en Ukraine et à ses retombées économiques, « difficilement quantifiables », selon EDF. Si le groupe a maintenu ses objectifs à la fin de 2023 – un endettement financier net d’environ 3 fois l’ebitda et une dette économique de 4,5 à 5 fois l’ebitda ajusté –, il prévient néanmoins que la volatilité des marchés et l’incertitude sur le coût des travaux pour régler les problèmes de corrosion sont « susceptibles de peser sur la capacité du groupe à les atteindre ».

Une sortie de la Bourse, où l’entreprise avait été introduite en 2005, n’est pas exclue dans le cadre d’une renationalisation de l’activité nucléaire survenant après l’élection présidentielle. « Pour l’instant, nous sommes dans une phase de recapitalisation », dit-on au ministère de l’économie et des finances.

Le groupe dirigé par Jean-Bernard Lévy a annoncé une augmentation de capital de 2,5 milliards, dont 2,1 milliards à la charge de l’Etat. Il prévoit, par ailleurs, une cession d’actifs pour environ 3 milliards. Des mesures d’urgence destinées à donner au marché l’assurance que l’Etat soutient l’entreprise, dont il est actionnaire à près de 84 %. Et à éviter une dégradation de sa note par Standard & Poor’s, qui l’obligerait à emprunter à des conditions moins favorables.







 

 


 

 

 

 

 


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