Source : Le Monde

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/10/guerre-en-ukraine-les-systemes-energetiques-les-plus-rapides-et-les-moins-chers-a-construire-dans-l-urgence-sont-l-eolien-terrestre-et-le-solaire_6121462_3232.html

Guerre en Ukraine : « Les systèmes énergétiques les plus rapides et les moins chers à construire dans l’urgence sont l’éolien terrestre et le solaire »

Tribune

Le chercheur américain spécialiste des technologies Robert Bell affirme, dans une tribune au « Monde », que pour se passer du gaz russe, recourir aux énergies renouvelables serait plus rapide et moins cher que de trouver de nouvelles sources de gaz.

Publié aujourd’hui à 15h30, mis à jour à 15h30 Temps de Lecture 4 min.

Tribune. Comme dans un film sur la duplicité en temps de guerre, la Russie continue de payer à l’Ukraine qu’elle massacre un « loyer » (apparemment 2 milliards de dollars en 2020, soit environ 18,40 milliards d’euros) pour utiliser ses gazoducs vers l’Union européenne (UE). Et les pays de l’UE, qui sanctionnent économiquement la Russie et qui, pour certains, fournissent des armes à l’Ukraine, continuent de payer leur gaz aux tueurs russes – 155 milliards de mètres cubes (MMC) en 2021, ce qui représente près de la moitié de leurs importations de gaz.

Le dilemme moral auquel l’UE se trouve ainsi confronté peut être résolu de plusieurs façons : Poutine pourrait couper les approvisionnements ; un foreur pétrolier du Moyen-Orient ou du Texas pourrait embaucher des mercenaires pour faire exploser les pipelines ukrainiens… et le prix du pétrole et du gaz par la même occasion ; le gouvernement ukrainien pourrait même, dans un geste désespéré, faire sauter lui-même les pipelines.

Du gaz liquéfié très coûteux

Mais aucun des plans annoncés à ce jour ne semble pouvoir résoudre ce dilemme. Le 25 mars, la Commission européenne et Washington ont annoncé pouvoir remplacer cette année 20 MMC de gaz russe (sur 155) par de nouveaux projets éoliens et solaires. Et que dans huit ans ( !), l’UE aurait mis fin aux importations de gaz russe en triplant sa capacité éolienne et solaire à hauteur de 170 MMC. Restera-t-il quelque chose de l’Ukraine à cette date-là ?

Le 24 mars, Joe Biden a promis de livrer cette année à l’UE environ 15 MMC de gaz naturel liquéfié (GNL). L’UE recherche également d’autres sources de GNL et passe des contrats avec les usines de regazéification flottantes existantes.

Mais remplacer le gaz relativement bon marché livré par gazoduc par du gaz liquéfié très coûteux livré par méthanier nécessite de construire de nouvelles usines de regazéification. Or la construction de celle de Dunkerque a mis six ans et a coûté un milliard d’euros. Autrement dit, en construire davantage ne contribuerait pas à résoudre la crise de court terme actuelle.

Le plan de l’UE pour l’indépendance énergétique annoncé le 8 mars ne parle pas en revanche de nouvelle centrale nucléaire pour affronter cette crise. Et pour cause : si le premier réacteur EPR d’Europe, en Finlande, vient de produire ses 100 premiers MW d’électricité en mars 2022, le projet a été lancé il y a treize ans, en 2005, et a coûté environ 11 milliards d’euros au lieu des 3,4 milliards initialement prévus…

De 26 à 50 dollars par MWh

La réelle solution est donc d’une évidence aveuglante. Les systèmes énergétiques les plus rapides et les moins chers à construire dans l’urgence en temps de guerre sont l’éolien terrestre et le solaire. C’est ce que montrent avec une clarté cristalline les chiffres publiés par la banque d’affaires Lazard (« Levelized Cost Of Energy, Levelized Cost Of Storage, and Levelized Cost Of Hydrogen », 28 octobre 2021).

En attendant d’avoir couvert les espaces vides adaptés, il faudra utiliser le nucléaire existant, les autres gaz que nous pouvons trouver, et en tout dernier recours le charbon

Non seulement les éoliennes terrestres sont les moins chères, avec une fourchette de 26 à 50 dollars par mégawatt/heure (MWh), mais elles sont, comme le solaire, très rapides à construire. Selon windeurope.org, la principale association professionnelle européenne qui regroupe les principaux acteurs de l’éolien (Vestas, Orsted, Ziemens-Gamesa, Acciona, Equinor, EDF, Engie…) « un parc éolien de 10 MW peut facilement être construit en deux mois. Un plus grand parc éolien de 50 MW peut être construit en six mois ».

Le solaire prend même moins de temps. De plus, l’UE possède bon nombre des plus grandes et des meilleures entreprises de fabrication d’éoliennes, de parcs éoliens et de câbles électriques.

Toujours selon Lazard, l’énergie solaire à grande échelle la plus courante a un coût similaire à celui de l’éolien terrestre : une fourchette de 30 à 41 dollars par MWh. En temps de guerre, les meilleures sources d’énergie sont locales, sans besoin d’être alimentées de l’extérieur. Comme le soleil et le vent.

Pour raisons de sécurité nationale

Pourtant, comme nous l’avons vu, la Commission européenne est toujours à la recherche de solutions d’urgence importées. Or, Lazard donnait en 2021 comme plus bas de la fourchette du prix de l’électricité produite au gaz naturel 45 à 74 dollars le MWh. Bien que généralement plus cher que l’éolien ou le solaire, le gaz peut compenser les moments sans vent ni soleil.

Mais Lazard a basé son analyse sur un prix du gaz naturel à 3,45 dollars/million de BTU (British Thermal Unit, unité d’énergie thermique ; 1 MMBtu = 0,293071 MWh), soit à peu près le prix aux Etats-Unis en 2021. Mais le prix payé par l’UE à l’arrivée dans le port en Allemagne était en novembre 2021, avant la guerre, de 27,20 dollars/MMBtu, soit près de huit fois plus qu’aux Etats-Unis ! Ce ne peut être une stratégie d’urgence en temps de guerre…

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Si les énergies renouvelables intermittentes étaient soumises aux lois du marché, ni éoliennes ni centrales solaires ne verraient le jour »

La véritable solution d’urgence pour remplacer le gaz naturel russe à l’échelle de l’UE est, pour raisons de sécurité nationale, de construire massivement de l’éolien terrestre et du photovoltaïque. Et en attendant d’avoir couvert les espaces vides adaptés, il faudra utiliser le nucléaire existant, les autres gaz que nous pouvons trouver, et en tout dernier recours le charbon.

Les dirigeants politiques doivent commencer à agir comme des dirigeants et l’expliquer fermement : bien que non déclarée, nous sommes en guerre, et nous devons cesser de commercer avec l’ennemi. (Traduit de l’anglais par Isabelle Plat)

Robert Bell est l’auteur de « Les Péchés capitaux de la haute technologie. Superphénix, Eurotunnel, Ariane 5… » (Seuil, 1998) et « La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables » (Scali, 2007).

Robert Bell - Professeur de management, Brooklyn College, City University de New-York -

 

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