Source : La Tribune

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/transitions-ecologiques/finance-durable-le-nucleaire-et-le-gaz-bientot-labellises-investissements-verts-par-bruxelles-898161.html

Finance durable : le nucléaire et le gaz, bientôt labellisés "investissements verts" par Bruxelles ?

Le nucléaire et le gaz doivent-ils figurer dans la taxonomie européenne, dont l’objectif est de fournir aux investisseurs la liste des activités pouvant être considérées comme bénéfiques pour le climat?

Initialement, la réponse de la Commission devait être négative. Mais soumise à la pression des États membres et confrontée à des controverses scientifiques, l'institution bruxelloise pourrait bien décider d'ouvrir la voie à leur inclusion. Il n'empêche, les dissensions restent profondes entre les pays, et le sujet promet d'aviver les tensions. Notamment entre Paris et Berlin, à la veille de la présidence française de l'UE.

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La question de l'intégration du nucléaire et du gaz fait tant d'émules qu'elle a été plusieurs fois reportée, et s'est même vu séparée de l'acte délégué sur la taxonomie proposé en avril, afin d'éviter de tuer le texte dans l'œuf.
La question de l'intégration du nucléaire et du gaz fait tant d'émules qu'elle a été plusieurs fois reportée, et s'est même vu séparée de l'acte délégué sur la taxonomie proposé en avril, afin d'éviter de tuer le texte dans l'œuf. (Crédits : YVES HERMAN)

Des milieux d'affaires au débat public, la future réglementation européenne sur la « finance durable » déchaîne les passions. Pourtant d'abord cantonné à un débat d'experts, le sujet est devenu éminemment politique, et dépasse depuis plusieurs mois les seules sphères bruxelloises. En effet, dans un rapport de force avec la Commission, certains industriels, et surtout les Etats eux-mêmes, font pression pour faire valoir leurs intérêts. Y compris la France, qui espère boucler le dossier avant sa présidence de l'Union européenne en janvier. Car l'enjeu est majeur : il s'agit de déterminer à l'échelle communautaire la liste des activités bénéfiques pour le climat afin de flécher les investissements privés vers celles-ci, mais aussi, in fine, les futures subventions publiques. D'ici à la prochaine décennie, ce sont donc des centaines de milliards d'euros à lever sur les marchés financiers qui sont en jeu.

« La transition énergétique coûtera cher. Et les investisseurs n'auront pas envie de financer une activité qui ne rapportera pas d'augmentation de leur part "verte". Si l'activité en question n'est pas incluse dans la taxonomie, trouver des financements ce sera plus difficile, et le coût sera donc peut-être plus élevé », explique Eric Duvaud, fondateur et responsable de l'équipe développement durable d'EY.

Alors qu'Emmanuel Macron a récemment affirmé vouloir construire de nouveaux réacteurs nucléaires sur le territoire pour garantir la « souveraineté électrique de la France » et « atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050 », l'Hexagone espère ainsi orienter une partie de ces précieux fonds vers son industrie nucléaire. Sans quoi la filière risquerait de ne pas se relever après les incidents de ces dernières années, de l'accident de Fukushima au surcoût des EPR.

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Une position loin de faire l'unanimité : d'autres Etats, comme l'Allemagne, le Danemark, l'Autriche où le Portugal s'y opposent fermement, et la France peine à créer une coalition suffisante en la matière. Le dossier promet même d'électrifier la visite à Paris du nouveau chancelier, Olaf Scholz, ce vendredi 10 décembre. D'autant que l'inclusion du nucléaire comme activité labellisée « durable » n'est pas le seul point brûlant : plusieurs pays militent aussi pour l'intégration du gaz fossile, qui émet du CO2 mais moins que le charbon. Et ces membres seraient même, selon le média Contexte, soutenus par la France, en contrepartie d'un appui de leur part au nucléaire.

Un calendrier glissant

Signe que le calendrier s'accélère, le sujet était au cœur de la plénière du Conseil économique et social européen, qui se tenait dans la capitale belge les 8 et 9 décembre. L'organe consultatif a en effet rendu à la Commission son avis sur le paquet « finance durable », avant qu'il ne soit entériné par les institutions légiférantes. Et cette « opinion », selon le jargon bruxellois, témoigne elle aussi des dissensions profondes sur la taxonomie « verte ».

« Lors de nos discussions, il y avait un gros point de blocage autour du nucléaire. La rapporteuse est autrichienne, donc souhaitait l'exclure des solutions durables. Mais d'autres demandaient son intégration. On a fini par acter dans l'avis final que les désaccords restaient fondamentaux sur le sujet, mais qu'il faut faire attention à la crédibilité de la classification », précise Arnaud Schwartz, membre du groupe de travail sur le paquet finance durable au CESE.

En fait, la question du nucléaire et du gaz fait tant d'émules qu'elle a été plusieurs fois reportée, et s'est même vu séparée de l'acte délégué général sur la taxonomie proposé en avril, afin d'éviter de tuer le texte dans l'œuf. « Le calendrier glisse depuis des mois. On nous dit à chaque fois qu'une proposition de loi sur ce sujet en particulier arrivera la semaine suivante. Ça va bien arriver un jour », ironise Arnaud Schwartz. Pour l'heure, la date limite est fixée au 15 décembre, mais elle pourrait encore être repoussée.

Ursula Von der Leyen CESE

Le Conseil économique et social européen s'est réuni mercredi et jeudi en plénière, afin d'évoquer notamment les sujets autour de la finance durable et la crise de l'énergie qui secoue l'UE.

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Activités de transition

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Pourtant, à l'origine, les lignes directrices étaient claires : seules les activités émettant moins de 100 grammes de CO2eq par kilowattheure (KWh) devaient figurer dans la taxonomie « verte », selon les conclusions d'un rapport d'expertise commandé par la Commission. Un cadre qui éloignait a priori d'office le gaz des sources d'énergie bénéfiques pour l'environnement.

Seulement voilà : non satisfaits de ce seuil, une dizaine de pays ont menacé d'opposer leur veto à des critères « trop stricts ». Sous pression, la Commission a donc ajouté une catégorie plus extensive à la classification, celle des « activités de transition ». Autrement dit, les activités « non compatibles avec la neutralité climatique », mais qui, en l'absence d'alternatives, s'inscrivent dans une trajectoire « nécessaire » de décarbonation, selon le Parlement européen. De quoi ouvrir la voie à un compromis, donc à une acceptation du texte par le Conseil européen (qui réunit les Etats membres). Mais aussi, par là-même, à de longs débats sur le périmètre de la taxonomie et à une intégration possible du gaz fossile dans la précieuse liste (avec une « clause d'extinction » fin 2030).

« Nous devrons investir dans les infrastructures de gaz naturel. Tant que nous le faisons dans l'optique de ne le faire que pendant une période, alors je pense que c'est un investissement justifié », avait justifié le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, à la COP26 à Glasgow début novembre.

« Il s'agit d'une étape intermédiaire, notamment pour la conversion des productions charbonnières d'électricité en Pologne et en Allemagne », précise Eric Duvaud. Outre-Rhin, le gaz joue en effet un rôle important dans la transition vers les énergies propres, et ce malgré un investissement fort dans l'éolien et le solaire. Ces sources d'énergie étant intermittentes, il représente «  pont vers l'ère des énergies renouvelables  » qui « devrait bien sûr être reflété dans la taxonomie », a ainsi récemment déclaré le député allemand du SPD Bernd Westphal.

Dans ces conditions, chacun avance ses pions pour peser dans le débat. Et selon une note circulant à Bruxelles, approuvée par la France et relayé par Euractiv, les centrales électriques au gaz pourraient être qualifiées d'investissement « durable » transitoire si elles émettent « directement » jusqu'à 340gCO2/KWh, et représentent moins de 700 kgCO2/kW par an.

Les ONG vent debout

De quoi crisper nombre d'ONG de défense de l'environnement. Dont le WWF, qui dénonce deux seuils « arbitraires » et « extrêmement élevés ». « L'argument pour intégrer les grandes centrales à gaz dans la liste est qu'on a besoin pour gérer les pointes. Mais les critères retenus sont trop souples, puisque 80% d'entre elles en Europe étaient déjà au-dessous de 300gCO2e/KWh en 2019, et la moitié tournaient moins de 2000 heures par an », développe Pierre Cannet, le directeur de plaidoyer de l'association. Également vent debout contre cette proposition, Greenpeace a installé mardi  devant la Commission européenne à Bruxelles un dinosaure géant recouvert de flammes de gaz bleu et de symboles radioactifs.

« Accepter le gaz enverrait un message très mauvais. Certes, des pays auront besoin de centrales à gaz fossile, dont l'Allemagne, mais cela doit être fait avec leur argent, et pas celui d'investisseurs divers. Il faut que cela devienne compliqué pour eux de les financer », glisse à la Tribune Nicolas Nace, chargé de campagne Transition énergétique chez Greenpeace France.

Même son de cloche pour l'inclusion de l'atome, pourtant peu émetteur de gaz à effet de serre mais générateur de déchets radioactifs. En octobre, dix États membres, dont la France, la République tchèque et la Pologne, avaient publié une déclaration commune exprimant leur soutien à l'énergie nucléaire, et mettant en avant son rôle dans la transition. Et Paris refuse même de reléguer l'atome comme « activité de transition » dans la taxonomie, solution intermédiaire « pas du tout acceptée par la France », a affirmé Bercy le 6 décembre.

« La pression exercée lors du dernier sommet européen par Emmanuel Macron, qui a menacé de bloquer la taxonomie si le nucléaire n'y était pas inclus, crée de l'incertitude sur tout le processus de définition des activités vertes. Cela peut faire dérailler le Green Deal et compromettre le leadership européen sur le climat », avait confié à ce sujet le député européen Bas Eickhout, rapporteur de la taxonomie, à l'EU Observer.

En septembre dernier, l'électricité nucléaire avait d'ailleurs été exclue de l'emprunt de 750 milliards d'euros lancé par la Commission pour financer le plan de relance français. Mais face à ces remous, l'Hexagone n'a pas dit son dernier mot : lors du salon nucléaire international qui s'est tenu la semaine dernière en région parisienne, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a su multiplier les louanges de l'atome. Et a affirmé publiquement qu'il serait bien inscrit dans la taxonomie, et ce « dans les tous prochains jours ».

Marine Godelier, à Bruxelles

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