Des milieux d'affaires au débat public, la future réglementation européenne sur la « finance durable » déchaîne les passions. Pourtant d'abord cantonné à un débat d'experts, le sujet est devenu éminemment politique, et dépasse depuis plusieurs mois les seules sphères bruxelloises. En effet, dans un rapport de force avec la Commission, certains industriels, et surtout les Etats eux-mêmes, font pression pour faire valoir leurs intérêts. Y compris la France, qui espère boucler le dossier avant sa présidence de l'Union européenne en janvier. Car l'enjeu est majeur : il s'agit de déterminer à l'échelle communautaire la liste des activités bénéfiques pour le climat afin de flécher les investissements privés vers celles-ci, mais aussi, in fine, les futures subventions publiques. D'ici à la prochaine décennie, ce sont donc des centaines de milliards d'euros à lever sur les marchés financiers qui sont en jeu.
« La transition énergétique coûtera cher. Et les investisseurs n'auront pas envie de financer une activité qui ne rapportera pas d'augmentation de leur part "verte". Si l'activité en question n'est pas incluse dans la taxonomie, trouver des financements ce sera plus difficile, et le coût sera donc peut-être plus élevé », explique Eric Duvaud, fondateur et responsable de l'équipe développement durable d'EY.
Alors qu'Emmanuel Macron a récemment affirmé vouloir construire de nouveaux réacteurs nucléaires sur le territoire pour garantir la « souveraineté électrique de la France » et « atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050 », l'Hexagone espère ainsi orienter une partie de ces précieux fonds vers son industrie nucléaire. Sans quoi la filière risquerait de ne pas se relever après les incidents de ces dernières années, de l'accident de Fukushima au surcoût des EPR.
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Une position loin de faire l'unanimité : d'autres Etats, comme l'Allemagne, le Danemark, l'Autriche où le Portugal s'y opposent fermement, et la France peine à créer une coalition suffisante en la matière. Le dossier promet même d'électrifier la visite à Paris du nouveau chancelier, Olaf Scholz, ce vendredi 10 décembre. D'autant que l'inclusion du nucléaire comme activité labellisée « durable » n'est pas le seul point brûlant : plusieurs pays militent aussi pour l'intégration du gaz fossile, qui émet du CO2 mais moins que le charbon. Et ces membres seraient même, selon le média Contexte, soutenus par la France, en contrepartie d'un appui de leur part au nucléaire.
Un calendrier glissant
Signe que le calendrier s'accélère, le sujet était au cœur de la plénière du Conseil économique et social européen, qui se tenait dans la capitale belge les 8 et 9 décembre. L'organe consultatif a en effet rendu à la Commission son avis sur le paquet « finance durable », avant qu'il ne soit entériné par les institutions légiférantes. Et cette « opinion », selon le jargon bruxellois, témoigne elle aussi des dissensions profondes sur la taxonomie « verte ».
« Lors de nos discussions, il y avait un gros point de blocage autour du nucléaire. La rapporteuse est autrichienne, donc souhaitait l'exclure des solutions durables. Mais d'autres demandaient son intégration. On a fini par acter dans l'avis final que les désaccords restaient fondamentaux sur le sujet, mais qu'il faut faire attention à la crédibilité de la classification », précise Arnaud Schwartz, membre du groupe de travail sur le paquet finance durable au CESE.
En fait, la question du nucléaire et du gaz fait tant d'émules qu'elle a été plusieurs fois reportée, et s'est même vu séparée de l'acte délégué général sur la taxonomie proposé en avril, afin d'éviter de tuer le texte dans l'œuf. « Le calendrier glisse depuis des mois. On nous dit à chaque fois qu'une proposition de loi sur ce sujet en particulier arrivera la semaine suivante. Ça va bien arriver un jour », ironise Arnaud Schwartz. Pour l'heure, la date limite est fixée au 15 décembre, mais elle pourrait encore être repoussée.
Le Conseil économique et social européen s'est réuni mercredi et jeudi en plénière, afin d'évoquer notamment les sujets autour de la finance durable et la crise de l'énergie qui secoue l'UE.
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