C’est peu dire s’il était attendu ! Le décret relatif au développement de l’agrivoltaïsme est enfin paru au Journal officiel, le 9 avril 2024. Pris en application de la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (Aper) de mars 2023, il vise à développer de nouveaux projets en facilitant la cohabitation entre production agricole et production d’énergie.

Ce décret « fixe des principes clairs et protège davantage les espaces agricoles tout en ouvrant des opportunités pour la production d’énergie », a déclaré Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture. Pour l’État, il ne s’agit plus d’opposer agricuture et énergie mais de les voir comme complémentaires.

Priorité à la production agricole

Cette version finalisée reprend les points clés du projet de texte dévoilé à la fin de 2023. Elle encadre non seulement l’agrivoltaïsme mais aussi le développement de projets photovoltaïques au sol sur des zones jugées incultes ou non cultivées depuis au moins dix ans. L’établissement de ces zones est à la charge des chambres d’agriculture au travers de documents-cadres.

Outre la définition d’une installation agrivoltaïque, ce décret doit garantir une production agricole significative, un revenu durable pour l’agriculteur et apporter au moins un service à l’agriculture. Il impose notamment un taux de couverture des panneaux solaires limité à 40 % et un rendement agricole supérieur à 90 % par rapport à une parcelle témoin de référence (hors élevage). Ces règles seront contrôlées par les directions départementales des territoires (DDT).

Le gouvernement donne ainsi la priorité à la production agricole. Il laisse le soin à la Commission départementale de préservation des espaces naturels et forestiers (CDPenaf) d’analyser et de retenir les projets conformes au décret. « L’objectif de ce décret est de construire un cadre qui sécurise le monde agricole tout en permettant le développement d’énergies renouvelables » et en laissant « la possibilité de continuer les expérimentations pour identifier les meilleures pratiques », précise le cabinet de la ministre déléguée au ministre de l’Agriculture Agnès Pannier-Runacher. Le gouvernement ne ferme donc pas la porte à de futures évolutions. Un premier bilan du dispositif est prévu dans un an.

Des zones d’ombre

Toutefois, ce décret laisse encore quelques zones d’ombre. Sur la question du partage de la valeur, liée à la production d’énergie, des initiatives parlementaires sont en cours. Quant à celle sur les modalités de contrôle et de sanction, dont la consultation s’est clôturée le 5 avril dernier, un arrêté ministériel doit être publié dans les prochaines semaines, selon le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. En parallèle, la liste des technologies « éprouvées », pouvant s’affranchir de parcelles de référence, devra être définie par un second arrêté ministériel, sur proposition de l’Ademe.

Par ailleurs, le décret ne prévoit aucune rétroactivité pour les projets déjà mis en service ou en cours d’instruction avant son entrée en vigueur qui ne sont donc « pas soumis à l’ensemble de ces obligations », précise le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. En revanche, il assure que « beaucoup de porteurs de projet ont mis en attente le dépôt de leur dossier de manière à s’assurer qu’il rentre dans le cadre du décret ». « L’État subventionnera, à travers les rachats d’électricité, uniquement les projets qui répondront aux critères définis par la loi », souligne-t-il tout en indiquant que des évolutions sont prévues à ce sujet pour se conformer avec la nouvelle loi.

Réactions mitigées

Dès la parution du décret, les réactions ne se sont pas fait attendre. La Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA) et France Agrivoltaïsme ont salué sa publication. Néanmoins, France Agrivoltaïsme pointe quelques lacunes comme la question du rendement agricole pour l’élevage ou le risque d’engorgement dans l’instruction des dossiers. Même son de cloche pour Chambres d’agriculture France qui se réjouit mais « déplore l’absence d’indicateurs quantitatifs » en élevage. Chargées d’élaborer des documents-cadres de l’agrivoltaïsme dans un délai de neuf mois, les chambres d’agriculture assurent qu’elles y sont prêtes. Le décret « donne un cap et un cadre clair », encense de son côté le Syndicat des énergies renouvelables (Ser).

La FNSEA s’est dite également satisfaite du décret. En revanche, elle souhaite qu’il soit rapidement « complété par l’arrêté sur les contrôles et sanctions » et que « les premiers contrôles puissent avoir lieu dans l’année » pour cadrer les futurs projets, explique Olivier Dauger, administrateur à la FNSEA chargé des dossiers sur le climat, l'énergie et le carbone. Les sanctions doivent être « suffisamment dissuasives pour éviter tout projet alibi », insiste-t-il. Interrogé, Jeunes Agriculteurs attend la sortie de l’arrêté sur les sanctions avant de réagir. Lors des premiers arbitrages de Matignon en décembre dernier, le syndicat s’était montré davantage critique que la FNSEA.

Considérant l’agrivoltaïsme comme un moyen de « contribuer à l’aménagement de territoires partis à la dérive », la Coordination rurale s’est « réjoui de la sortie du décret ». Le syndicat pointe malgré tout des « zones d’ombre » qui doivent être comblées pour « accélérer l’agrivoltaïsme » tout en évitant « les dérives locales qui aboutiraient à une inégalité flagrante des agriculteurs face à la loi ».

Farouchement opposée à l’agrivoltaïsme, la Confédération paysanne a déclaré qu’elle déposera un recours contre le décret. Elle fustige notamment que « le décret accepte une baisse de production pouvant atteindre 10 % sous les panneaux ». Il en est de même pour le Modef. « Nous ne souhaitons pas que les agriculteurs deviennent des « agro-énergéticiens » au détriment de leur mission de production », blâme le syndicat. Il reproche en particulier une artificialisation des terres agricoles et une menace sur le statut du fermage.

Laurine Mongenier et Alexis Marcotte