L’arrêt « définitif » des sept réacteurs nucléaires belges, annoncé en décembre 2021, n’est pas pour tout de suite : le gouvernement d’Alexander De Croo a décidé, vendredi 18 mars, à l’issue d’une longue négociation entre les sept partis qui le composent, de prolonger la durée de vie de Doel 4 et Tihange 3 au-delà de 2025, et pour dix ans. Ces deux unités fournissent 2 gigawatts (GW) de puissance, sur les six du parc nucléaire actuel.
Prévu depuis 2003, l’abandon du nucléaire par la Belgique est décidément un feuilleton à rebondissements, soumis aux aléas des changements de coalitions et à l’indécision des experts. Cette fois, c’est la guerre en Ukraine, mais aussi les nombreuses incertitudes quant à la sécurité d’approvisionnement d’ici à 2025 et au-delà qui ont entraîné un énième revirement. L’avant-dernier accord, conclu à la fin de 2021, prévoyait d’ailleurs que la décision d’arrêter tous les réacteurs, qui fournissent actuellement 40 % de l’électricité produite dans le royaume, serait remise en question en cas de flambée des prix ou de risque de pénurie. Les autorités justifient également leur volte-face par les « indisponibilités supplémentaires » du parc nucléaire français, avec lequel le réseau belge est interconnecté.
Le plan annoncé vendredi prévoit des mesures complémentaires, dont un montant de 1,16 milliard d’euros consacré au développement des énergies renouvelables, avec l’accélération du développement de l’éolien, du photovoltaïque et de la filière hydrogène. Un projet initial de la ministre écologiste de l’environnement évoquait une enveloppe de 8 milliards d’euros. Des mesures fiscales vont aussi viser à l’amélioration de l’efficacité énergétique des logements.
Deux centrales au gaz
Le gouvernement fédéral entend également consacrer un montant de 25 millions d’euros au développement des nouvelles technologies du nucléaire, dont les petits réacteurs modulaires (SMR). Enfin, il fera construire deux centrales au gaz d’une puissance de 1,6 GW, même si le gouvernement régional de Flandre a refusé jusqu’ici le permis de bâtir pour l’une de ces centrales. Conduit par le parti nationaliste N-VA, le pouvoir flamand entendait ainsi faire pression pour la prolongation de plus de deux réacteurs nucléaires.
A sein de la coalition fédérale aussi, des voix s’élevaient en ce sens. Le Mouvement réformateur (MR, libéral francophone) réclamait la prolongation d’au moins trois réacteurs, ce qui devait permettre d’éviter le recours à l’une des deux centrales au gaz. Ce parti a finalement accepté le compromis, tandis que les écologistes approuvaient, eux, le principe d’une prolongation de deux réacteurs, mais présentaient comme une victoire le fait que les cinq autres unités actuelles arrêteront de fonctionner d’ici trois ans.re
Les partis « verts », Ecolo et Groen, insistent, par ailleurs, sur l’importance des politiques favorables à la transition énergétique qui ont été définies, même si leur objectif financier a été sérieusement revu à la baisse. Et même si les compétences liées aux énergies renouvelables sont en grande partie détenues par des régions aux orientations politiques très différentes, ce qui ne simplifiera pas les choses.
Nombreuses interrogations
Présenté par les autorités fédérales comme le « grand plan énergétique » dont le pays a tardé à se doter, le projet suscite une série d’interrogations. Pourquoi, notamment, maintenir le projet de deux centrales au gaz, alors qu’une seule devait suffire en cas de prolongation du nucléaire ? Parce qu’un doute réel subsiste quant à la possibilité d’assurer cette prolongation dès 2025. Engie, le gestionnaire du parc, avait indiqué, en 2021, qu’il serait, faute d’un délai suffisant, dans l’impossibilité « technique » de prolonger les deux réacteurs, qui doivent être rénovés, alimentés en combustible et disposer des autorisations nécessaires.
La prolongation devrait coûter 1 milliard d’euros, et l’énergéticien entend obtenir des assurances claires quant à la rentabilité de cette relance. Engie va sans doute aussi jouer sur le montant de la taxe (dite « rente nucléaire ») qu’il acquitte chaque année et s’élève actuellement à 118 millions d’euros. Enfin, l’opérateur devrait exiger des concessions quant au coût du démantèlement des unités en fin de vie et à la gestion des déchets radioactifs. Le parti Ecolo affirme que le montant de ces opérations avoisinera 40 milliards d’euros, et qu’il faut, sur ce plan, refuser toute concession au groupe français.